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Techniques chasse et pèche (#30)

La bernache géante ... à la recherche d'une résidence!
Texte et photos : Philippe Dupuis
La bernache du Canada est certes l’oiseau migrateur le plus connu de
l’Amérique du Nord. En début d’année, elle est le signe avant-coureur du
printemps alors que, plus tard, elle annonce aussi la venue prochaine de
temps plus froids. Et si, dans le vaste monde, de nombreuses espèces sont
menacées d’extinction, pour toutes sortes de raisons, cet oiseau presque
mythique fait exception à la règle. Dans les années 1950, on dénombrait
environ 1 million d’individus pour l’ensemble du Canada; dès 1965, la
population était évaluée à 1,5 million pour le même espace. Aujourd’hui, on
parle de 1,5 million de bernaches du Canada seulement dans l’Est du pays,
alors que le population totale en Amérique du Nord avoisine les 5 millions
d’individus.
Sur l’ensemble du territoire, on regroupe dans la catégorie des bernaches du
Canada plusieurs espèces (bernache géante, bernache de l’intérieur, bernache
Richardson, petite bernache du Canada, bernache de l’Ouest, bernache de
Vancouver, bernache de l’Atlantique, bernache Dusky, bernache Cackling,
bernache Taverner’s, bernache Aleutian). Et elles se divisent en plus de 186
sous-espèces, en fonction de la couleur du plumage, de la taille du corps,
de la longueur des ailes et du bec, du poids corporel de l’habitat, etc.
Mais il faut d’arrêter de façon plus particulière sur l’une des espèces : la
bernache géante ou résidente et de sa présence accrue sur le territoire
québécois.
Facteurs favorables
Cette prospérité quasi inimaginable de la bernache est le résultat de
plusieurs facteurs au nombre desquels il faut lacer les divers programmes de
conservation, et en particulier l’ensemble des refuges gérés par les divers
paliers de gouvernement, qu’ils soient canadiens ou américains. À cela
s’ajoute une bonne réglementation de la chasse mais aussi la réintégration
de l’espèce dans la partie sud des anciennes aires de reproduction (depuis
la Pennsylvanie, l’État de New York et l’Ontario vers l’ouest, jusqu’au sud
de l’Alberta.
De plus, l’espèce a su tirer profit des techniques agricoles modernes (la
culture des céréales, des graminées, du maïs), en particulier des pertes de
grains imputables à la récolte mécanique. De telles conditions ont permis à
l’espèce de connaître un essor remarquable de sa population.
Au point même que, aujourd’hui, cette multiplication des oiseaux se traduit
concrètement par un problème majeur de contrôle dans diverses régions. Et
cela se produit non seulement en milieu agricole, un sujet qui a déjà été
abordé dans un texte antérieur, mais aussi dans les parcs et les milieux
humides, à proximité des banlieues. La question fondamentale est toujours
celle de la disponibilité de la nourriture pour ces oiseaux. Les terrains de
golf et même les pelouses des secteurs environnants représentent un lieu
favorable de résidence.
Et pour compliquer le tout, ces endroits se retrouvent dans un environnement
où la chasse est interdite, faisant de ces lieux de véritables sanctuaires
improvisés qui ont été rapidement détectés et occupés par les bernaches. En
l’absence de tout prédateur, la population connaît un développement optimum.
Le territoire ainsi affecté par ce phénomène est immense et couvre le Canada
(partie du sud) et les deux-tiers des Etats-Unis (au nord).
Situation au Canada
Aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, la bernache géante
(maxima) était considérée, dans les années 1960, comme une espèce menacée
d’extinction et ce, sur l’ensemble du continent nord-américain.
Une quarantaine d’années plus tard, voilà que la situation est complètement
renversée et que l’espèce est même considérée comme nuisible dans certains
milieux. Dans des régions où la population abonde, elle est responsable de
dommages importants pour les agriculteurs et elle devient, de plus en plus,
une véritable nuisance dans le milieu urbain qu’elle adopte. En plus, ces
bernaches représentent une sérieuse compétition pour les bernaches
migratrices lorsqu’il est question de ressources alimentaires.
La population totale de ces oiseaux installés en permanence ou presque –
d’où leur appellation de bernaches résidentes – est maintenant estimée à 3
millions d’individus en Amérique du Nord. D’entrée de jeu, il faut préciser
qu’il s’agit là d’une situation relativement nouvelle mais qui tend à se
développer. La bernache géante (branta canadensis maxima) est
fondamentalement un oiseau migrateur, comme les autres espèces. Au cours des
trois ou quatre dernières décennies (on parle d’environ 365 ans), la
population de l’espèce a connu une véritable explosion sur tout le
territoire mentionné dans le Tableau 2. Et dans le sud de l’Ontario, on
estime à 350 000 individus la population de bernaches géantes en migration
interne et qui utilisent un territoire de plus en plus vaste. Cela se
produit aux dépens des autres bernaches subarctiques et rend la cohabitation
de plus en plus problématique pour les espèces moins nombreuses qui
subissent cet envahissement des territoires de nidification. Le Service
canadien de la faune est d’ailleurs à mener une évaluation du ratio
bernaches géantes versus bernaches subarctiques afin d’établir un portrait à
jour de cette situation.
… et au Québec
Le scénario le plus réaliste de développement de ce phénomène tend à
démontrer que c’est vers le Québec que cette population de bernaches en
plein développement trouvera une aire d’expansion. D’abord vers le nord, où
on trouve déjà des bernaches géantes en provenance du sud des Grands Lacs
(dans la région de Saint-Fulgence, au Lac Saint-Jean).
Pour nous, au Québec, on peut vraiment dire que l’occupation – pour ne pas
dire l’envahissement – de certaines régions par la bernache géante en est
dans ses premières phases et que nous en sommes encore à dresser un bilan de
la situation.
Au cours des dernières années, des opérations visant à baguer certaines
bernaches géantes – en majorité des « résidentes » - ont eu lieu dans les
régions de Varennes et de Saint-Fulgence. De façon générale, à l’exception
peut-être des années 1996 à 2001, la proportion d’oiseaux ayant effectué un
retour direct est considérée comme plutôt faible. Par contre, la proportion
de retour au niveau global est plus significative cependant puisque les
oiseaux remarqués à Saint-Fulgence y sont de passage alors que ceux
localisés à Varennes y vont pour nicher.
Avec le rétablissement de la chasse migratrice, il va devenir intéressant de
documenter le dossier à partir des bernaches baguées et qui sont abattues
par les chasseurs. Les spécialistes dela question seront sans doute mieux en
mesure d’évaluer l’impact de la chasse en pré-saison et en saison sur les
populations de bernaches du Canada résidentes nicheuses.
Une évaluation du nombre d’oiseaux nicheurs au Québec établit à 2 000 le
nombre de couples de cette espèce. La plus grande concentration se
trouverait au sud de Montréal, dans les îles de Varennes et la région de
Contrecoeur ou celle de Repentigny et de Lanoraie. La période de
nidification aurait lieu de la mi-avril au début de mai. Et plusieurs
bernaches, aperçues à la fin de mai ou au début de juin, sont des oiseaux de
un ou deux ans qui viennent tout simplement pour muer dans ces régions.
En conclusion, on peut dire qu’il est difficile d’évaluer avec une certaine
précision les dommages imputables à ces populations d’oiseaux. Mais une
chose semble certaine : plusieurs observations permettent de croire que de
nombreux sites potentiels existent pour accueillir des bernaches résidentes
dans toute la région de l’estuaire du Saint-Laurent (de la Beauce aux lacs
Saint-Pierre et Saint-François, le long de la rivière richelieu comme du
côté nord du fleuve, notamment à Lanoraie et Terrebonne).
Tout cela représente un avenir intéressant pour les utilisateurs de cette
ressource que sont les bernaches, qu’il s’agisse des scientifiques, des
sauvaginiers, des ornithologues, des photographes et de tous les amants de
la nature!
* Philippe Dupuis tient à remercier Monsieur Jean Rodrigue pour sa
précieuse collaboration. Monsieur Rodrigue est biologiste au Service
canadien de la faune et rattaché aux études sur la bernache du Canada.
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